Partie I : Les limites du recours à la théorie de la lésion et ses dérivés
7. — Nous allons aborder dans cette première étape, l’ensemble des techniques juridiques qui ont été utilisées – voire détournées de leur finalité première – pour rétablir le déséquilibre contractuel constaté entre les parties connaissant une dissymétrie de puissance économique. Il s’agit des techniques destinées à rétablir ce que les auteurs appellent « l’équivalence concrète », l’égalité dans le contenu du contrat. Il existe deux sortes d’équivalence, l’équivalence concrète et l’équivalence abstraite. L’équivalence abstraite exprime un état de la structure du contrat, c’est à dire un contrat, comprenant un objet, une cause et un accord de volonté. Ce critère d’équivalence est aisément rempli. Étant inscrite dans la structure légale du contrat, l’équivalence abstraite a un caractère obligatoire, il faut que chaque contrat ait un accord entre deux volontés, deux objets et une cause liant ces deux objets. A partir du moment où la cause existe et qu’elle permet de faire le lien entre les objets, la condition d’équivalence abstraite est remplie. Contrairement à l’équivalence abstraite, l’équivalence concrète s’attache non plus à la forme du contrat mais à son contenu. Dans l’équivalence concrète, on veut que l’obligation reçue soit effectivement de valeur égale à l’obligation fournie.
8. — Alors que l’équivalence abstraite doit être, en tout état de cause, respectée car elle constitue une qualité intrinsèque de la structure du contrat, l’équivalence concrète peut ne pas être exigée par le droit. C’est ce qui est le cas pour notre droit français. La formule de Fouillée reflète la pensée de l’époque selon laquelle les parties sont les mieux à même d’apprécier ce qui est bon pour eux. Le droit ne doit donc pas remédier, du moins, qu’à titre exceptionnel, au déséquilibre contractuel. Toute la difficulté tient donc à trouver la « subtile formule » qui permet d’aboutir à une solution dite « juste » dans notre hypothèse de déséquilibre économique, sans pour autant qu’elle altère des concepts, créés dans un contexte où justement la recherche de l’équivalence concrète n’était pas admise. Autrement dit, il s’agit de déterminer dans quelle mesure il est possible de rétablir le déséquilibre contractuel procédant du déséquilibre économique existant entre les cocontractants.
9. — Le recours le plus significatif pour aboutir à l’équivalence concrète est sans nul doute celui qui fait appel à la théorie de la lésion. C’est le seul instrument juridique prévu par le droit napoléonien dont la finalité même est d’assurer l’équivalence concrète. La lésion est la stricte définition de l’inéquivalence concrète, c’est un écart entre une valeur (la valeur économique) et un prix (la valeur juridique) inscrit dans le contrat. Il est possible de trouver plusieurs dérivés de la théorie de la lésion, ce qui nous conduit à établir une distinction toute théorique entre les dérivés « classiques » (Titre I), et ceux plus « originaux » qui restent à l’état de proposition doctrinale (Titre II).