TD L1 – Méthodes critiques : Lire l’Essai (C. Julliot).
« La Convention »
Extrait de Quatrevingt-treize, de Victor Hugo (II, III, 1 ; 1874)
Être un membre de la Convention, c'était être une vague de l'Océan. Et ceci était vrai des plus grands. La force d'impulsion venait d'en haut. Il y avait dans la Convention une volonté qui était celle de tous et n'était celle de personne. Cette volonté était une idée, idée indomptable et démesurée qui soufflait dans l'ombre du haut du ciel. Nous appelons cela la Révolution. Quand cette idée passait, elle abattait l'un et soulevait l'autre ; elle emportait celui−ci en écume et brisait celui−là aux écueils. Cette idée savait où elle allait, et poussait le gouffre devant elle. Imputer la révolution aux hommes, c'est imputer la marée aux flots.
La révolution est une action de l'Inconnu. Appelez−la bonne action ou mauvaise action, selon que vous aspirez à l'avenir ou au passé, mais laissez−la à celui qui l'a faite. Elle semble l'œuvre en commun des grands événements et des grands individus mêlés, mais elle est en réalité la résultante des événements. Les événements dépensent, les hommes payent. Les événements dictent, les hommes signent. Le 14 juillet est signé Camille Desmoulins, le 10 août est signé Danton, le 2 septembre est signé Marat, le 21 septembre est signé Grégoire, le 21 janvier est signé Robespierre ; mais Desmoulins, Danton, Marat, Grégoire et Robespierre ne sont que des greffiers. Le rédacteur énorme et sinistre de ces grandes pages a un nom, Dieu, et un masque, Destin. Robespierre croyait en Dieu. Certes!
La Révolution est une forme du phénomène immanent qui nous presse de toutes parts et que nous appelons la Nécessité.
Devant cette mystérieuse complication de bienfaits et de souffrances se dresse le Pourquoi? de l'histoire. Parce que. Cette réponse de celui qui ne sait rien est aussi la réponse de celui qui sait tout.
En présence de ces catastrophes climatériques qui dévastent et vivifient la civilisation, on hésite à juger le détail. Blâmer ou louer les hommes à cause du résultat, c'est presque comme si on louait ou blâmait les chiffres à cause du total. Ce qui doit passer passe, ce qui doit souffler souffle. La sérénité éternelle ne souffre pas de ces aquilons. Au−dessus des révolutions la vérité et la justice demeurent comme le ciel étoilé au−dessus des tempêtes.
Telle était cette Convention démesurée ; camp retranché du genre humain attaqué par toutes les ténèbres à la fois, feux nocturnes d'une armée d'idées assiégées, immense bivouac d'esprits sur un versant d'abîme. Rien dans l'histoire n'est comparable à ce groupe, à la fois sénat et populace, conclave et carrefour, aréopage et place publique, tribunal et accusé.
La Convention a toujours ployé au vent ; mais ce vent sortait de la bouche du peuple et était le souffle de Dieu.
Et aujourd'hui, après quatre−vingts ans écoulés, chaque fois que devant la pensée d'un homme, quel qu'il soit, historien ou philosophe, la Convention apparaît, cet homme s'arrête et médite. Impossible de ne pas être attentif à ce grand passage d'ombres.
Questions
1/ Isolez dans le texte ou formulez vous-même la thèse principale que l’auteur développe dans cet extrait, en une phrase, et de la façon la plus précise possible (3 points)
2/Distinguez, en les soulignant, les passages narratifs. Quelle est leur fonction dans l’argumentation ? (3 points)
3/ Analysez, l’un après l’autre, les arguments employés et évaluez leur validité (6 points)
4/ Repérez les subjectivèmes et définissez, en vous appuyant précisément sur le texte, quelle est l’image (l’ethos) que l’auteur forge de lui-même à travers son discours (3 points)
5/ Quelle place est laissée au lecteur dans l’argumentation ? Comment décririez-vous la stratégie de persuasion de l’auteur ? (3 points)
6/ Repérez dans le texte une phrase dans le texte qui correspond aux exigences de concentration formulaire de la maxime (portée de vérité générale, dimension paradoxale portée par une antithèse, rythme travaillé) et faites-en l’analyse stylistique (2 points)